Le cerveau ne se repose jamais. Il est toujours plein de pensées. Des pensées qui tournent en boucle, la nuit et le jour. Des pensées sans consistances, sans formes, comme des fumées qui se dissipent, se reforment, s’évanouissent; des pensées que l’on ne maîtrise pas, qui forment des tourbillons, de petits cyclones ou des ronds paisibles comme ceux que fait dans l’eau le caillou que l’on a laissé tomber négligemment depuis le pont quand on recherchait une ombre éphémère, ou le souvenir d’un visage entrevu, ou de quelqu’un que l’on retrouve souvent par la pensée.
Par la suite, par moments, les pensées se transforment en images. Elles prennent chair. On pourrait presque les attraper d’une main leste qui glisse en tournant sur une table cirée; ou bien d’un geste ralenti qui semble caresser le vent.
Les images fusionnent leurs pixels, noient leurs couleurs délavées, elles font des glissades d’aquarelles, des nœuds chromatiques.
Puis les images prennent corps, en chair et en os : elles se transforment en mots.
On n’est plus dans les pensées secrètes, on partage ses pensées avec d’autres : on sort de la protection : plus de cuirasse, comme un homard sans carapace, nu comme une larve de papillon. On fourbit les armes de défense, on prépare les mots qui trahissent les pensées.
Puis on lance le grand challenge: on affirme que l’on va chercher des idées.
Coup de tonnerre ! Attention à vous ! Faites résonner les tambours !
Jusqu’ici les pensées, les images, les mots, tout ça, dessinaient des lignes bleues tranquilles dans la nuit.
Mais pour chercher des idées, il va falloir les heurter avec les lignes rouges de la réalité. Trouver une idée c’est se confronter à l’extrême opposé.
La réalité c’est un réseau de lignes droites qui se croisent à l’orthogonale. La réalité c’est réseau des lignes dures comme les rails de chemin de fer qui planifient nos associations de pensées; solides comme le ciment rigide des autoroutes de la pensée. La réalité c’est beau et solide comme du cristal.
C’est beau mais c’est mort tant qu’on ne la vivifie pas avec les rêves.
Trouver des idées c’est nouer les lignes rouges et les lignes bleues, c’est réussir un nœud qui tienne entre les fumées et le cristal.
C’est fabriquer une trame, un point à l’envers, un point à l’endroit. C’est connecter, croiser, entremêler.
C’est lancer la machine à tisser, mobiliser les canuts et les ingénieurs en informatique, les génies de l’intelligence, pour tricoter des dessins sublimes et complexes, des nœuds de fleurs rouges et bleues que l’on appellera : IDEES.
Au début, on les met au mur, on les regarde, puis on glisse nos dessins rouges et bleus dans des machines à commande numérique et ils pondent un objet, un truc dur.
Les rêves bleus qui divergent indéfiniment, c’était beau, mais ça partait en fumée; le cristal parfait de la réalité morte c’était beau, mais ça dormait comme un bibelot du passé sur le marbre de la cheminée.
La vie, c’est quand on fait des nœuds entre la divergence évanescente et la rassurante complicité du réel; la création c’est quand on tisse un nœud entre l’imaginaire à ciel ouvert et la contrainte salutaire des pieds sur terre; entre le chaos de la nuit et la lumière consciente du grand jour.
Créer, c’est nouer.
Comprendre c’est dénouer.
Aimer, c’est souder les deux bouts solidement.
Guy Aznar. 20 12 21